Restauration d'une guitare de flamenco

Restauration de cette étrange guitare espagnole, fabriquée à Masanasa, dans la banlieue sud de Valencia en Espagne. Si sa restauration aura révélée son identité, elle a éveillé pour son propriétaire et moi même beaucoup de curiosité et elle n'a pas livré tous ces secrets...

Bref historique de la dynastie des Quiles

Comme à chaque fois que l’on m’apporte une guitare ancienne, j’entreprends des recherches pour en savoir un peu plus sur, mais pour celle-ci il est difficile de s’y retrouver parmi la dynastie des Quiles, famille de luthiers de Valencia en Espagne. 

D’après ce que j’ai pu glaner comme informations, Ricardo Quiles Enrique serait le premier de la lignée, auxquels lui ont succédés Ricardo Quiles Ballester, Vicente Quiles Ballester, Rafael Quiles Ballester et Vicente Quiles Mortes. Je suppose que RQE serait né au début du XXème siècle car son fils Ricardo Quiles Ballester est né lui en 1931. Ils ont apparemment travaillés ensemble à partir de 1945 dans un atelier familial pour le compte de Ricardo Sanchis Nacher, dont j’ai trouvé des guitares étonnamment similaires à celle que j’ai eu dans les mains.

C’est en 1958 que Quiles Enrique décide de créer sa propre entreprise de guitares à Masanasa, elle comprenait alors tous les membres de la famille. Leur Le client principal était toujours Vicente Sanchis, mais ils ont progressivement élargi leurs clients en Espagne et à l’étranger. En 1963, la production fut transférée dans un nouvelle usine à Catarroja.

L’étiquette visible à l’intérieur lorsqu’on me l’a amené mentionnait “Casa Erviti” un magasin de musique de San Sebastian bien connu. Mais on devinait une étiquette en dessous, ce n’est que lors du démontage du fond que j’ai réussi à plus ou moins enlever la première et découvrir celle de Ricardo Quiles Enrique. Ce que je n’explique pas c’est que l’étiquette correspond à la période de 1958 à 1962, durant laquelle RQE officiait dans son atelier de Masanasa mais la facture de la guitare elle parait bien plus ancienne. En effet la guitare est clairement toute faite à la main, la rosace est assez primitive et en bois. Eclisses, dos mais plus étonnement la touche sont en noyer, elle est entièrement collé à la colle chaude et vernie à la gomme laque. J’ai trouvé sur Reverb des guitares estampillées Ricardo Sanchis datant des années 30 qui présentaient les mêmes caractéristiques, qui auraient été des anachronismes à la fin des années 50, date a laquelle correspond l’étiquette? 

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La restauration

Commençons par un état des lieux: la guitare présente un chevalet troué, et qui devait travailler en arrachement de manière beaucoup trop forte, de sorte que la table devait être excessivement bombée et l’action beaucoup trop haute. Ce qui a donné lieu à l’installation d’un cordier de jazz qui modifie complètement la guitare car il exerce une force en pression sur la table et non plus en tension comme initialement. La table est fine et n’est pas pourvue de barrages! De fait même avec le cordier de jazz, elle n’est pas jouable. Le dos est cassé et a été recollé grossièrement à …la colle néoprène! Je n’ai jamais vu une touche usée de la sorte et pour clore le cahier des doléances le manche est vrillé.

A ce stade beaucoup auraient laissé cette guitare en décoration, mais pas quand il s’agit de la guitare d’un grand-père, qui l’a ensuite transmis à son fils et dont le petit fils est aujourd’hui devant moi.

J’ai donc effectué un travail de fond pour permettre à cette guitare de sonner à nouveau, chose qui ne s’était pas produit depuis très longtemps. J’ai commencé par démonter le dos et le chevalet qui étaient irrécupérables, pour accéder à la table. J’ai ensuite fabriqué et posé des barrages en cèdre pour la table. Après quelques greffes et réparations des éclisses, j’ai pu coller un nouveau dos, que j’ai construis en deux pièces de cèdre ouvertes en portefeuille avec un filet central en érable. 

Pour le manche j’ai commencé par déposer ce qui restait des frettes, je n’avais jamais vu une usure de celles-ci aussi avancée! Je n’ai pas chercher à redresser le manche, si le bois a travaillé de cette manière, inutile d’aller contre sa volonté, j’ai raboté la touche parallèlement à la table avec un très léger renversement jusqu’à ce qu’il soit plan et à bonne hauteur pour recevoir une nouvelle touche. Avant de coller une nouvelle touche, j’ai pratiqué une défonce dans le manche pour incruster une barre de renfort en bois dur. Après une planification parfaite j’ai collé un placage de tête en ziricote avant de coller la nouvelle touche en amarante.

Comme décidé avec le client, j’ai donné à la touche un léger radius de vingt pouces, ce qui n’est pas conventionnel, mais qui rend la guitare très confortable.

Après avoir refait à l’identique un chevalet dans du vieux palissandre, j’y incruste un filet composé en bois en rappel de la rosace en bois elle aussi. Un ponçage fin permet de nettoyer la guitare en conservant sa patine et de la préparer pour un vernis au tampon, avant de poser sillet et chevalet, que j’ai réalisé en os sur mesure.

Galerie de la restauration

En conclusion

Cette petite guitare est aujourd’hui très plaisante à jouer, elle n’a pas une projection extraordinaire non, mais elle distille un son chaud et bien défini, tout en nuance; on se plait à jouer pour soit des mélodies andalouses mélancoliques. Elle n’a plus grand chose à voir avec la guitare rafistolée que l’on m’a apporté, et j’ai fait des modifications, de concert avec mon client qui seront peut-être contestables comme le radius de 20, mais encore une fois tout ceci a été fait dans le respect des méthodes et procédés d’époque totalement réversibles.